mercredi 28 novembre 2007

Pollution sociale : le naufrage de l’enseignement















« Un diplôme, un avenir ! » La plupart des parents bercent leur enfant de cette phrase, pleine d’espoir certes, mais aussi complètement mensongère. Si tous les enfants naissent libres et égaux, en quelques secondes d’existence les rouages de la discrimination se mettent en marche. Même dans un domaine aussi fondamental que l’enseignement.

Le 1er juillet 2007, l’ensemble des chiffres relatifs à l’enseignement pour l’année 2006 a montré que notre système éducatif était loin d’être l’un des plus performants en Europe. En effet, tant dans l’enseignement primaire que secondaire, le bilan est alarmant et choquant.
Ainsi, en primaire, si le redoublement a baissé dans toutes les années sauf en cinquième et en sixième, le bilan chiffré de la Communauté française montre que 6% des élèves redoublent encore leur première année primaire alors qu’autant échoue en deuxième. Sachant que les nouvelles réglementations obligent les enfants ayant doublé deux fois à continuer leur cursus jusqu’en sixième, et cela même s’ils n’arrivent plus à suivre, on comprend en grande partie les dégâts observés dans les premières années de l’enseignement secondaire.

Le constat est encore plus sombre dans l’enseignement secondaire où toutes les classes sont en augmentation de redoublement sauf en quatrième. Les troisième et cinquième années sont les plus touchées avec respectivement 19,2% et 17% d’échecs. Si dans l’enseignement général, le taux de redoublement stagne autour de 10%, l’enseignement technique atteint des chiffres épouvantables : 23,2% en troisième et 20% en cinquième en technique de transition ; près de 30% des élèves échouent en troisième année en technique de qualification. Ne parlons même pas de l’enseignement professionnel… Chez nous, le redoublement est une véritable institution comme un bon paquet de frites : six élèves sur dix rateraient au minimum une année de leur cursus scolaire dans l’enseignement secondaire. Seulement 40% d’élèves peuvent donc prétendre avoir effectué sans entrave leur parcours scolaire.
Mais le plus inquiétant à travers ces chiffres est d’observer que le redoublement n’est pas une stratégie pédagogique efficace puisque les élèves continuent à ne pas atteindre les compétences fixées dans les programmes scolaires officiels. Pourquoi alors continuer à faire redoubler les élèves ? Tout simplement parce que la politique éducative actuelle voit dans le redoublement un moyen efficace et menaçant pour gérer les classes. Ce qui est loin d’être un avantage tant pour les élèves que pour les enseignants.

Publié en 2006, le dernier rapport P.I.S.A. (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) auquel participent 32 pays avec la coordination de l’O.C.D.E. (Organisation de coopération et de développement économiques) dévoile de très mauvais résultats pour la Belgique dans de nombreuses matières indispensables telles que le français ou les mathématiques. Le document révèle surtout des écarts extrêmement élevés entre les élèves autochtones et les allochtones. Une étude réalisée fin 2006 par l’Aped (Appel pour une école démocratique) démontre que cette situation découle principalement du statut social des élèves issus de l’immigration ainsi que de facteurs proprement ethniques, culturels ou linguistiques. Ainsi, un enfant étranger qui est confronté à la langue française uniquement à l’école alors que chez lui sa famille ne parle que leur langue maternelle va inévitablement rencontrer des difficultés dans l’apprentissage et la maîtrise du français, ce qui entraîne indubitablement des problèmes d’intégration sociale.


Des témoignages qui en disent long
Si les statistiques sont là pour démontrer que notre enseignement est aux soins intensifs depuis de nombreuses années, il est également indispensable de prendre en compte la réalité du terrain. Chaque jour, nos écoles sont victimes d’une politique éducative désastreuse qui engendre de plus en plus de dommages collatéraux : vols, menaces, intimidations, agressions physiques et/ou verbales,… Si les politiques minimisent les faits et que les médias ne parlent que de certains événements sensationnels tels que l’agression au couteau d’un directeur d’établissement scolaire à Dinant en janvier 2007, certains enseignants osent prendre la parole pour raconter leur quotidien. Souvent surprenant, parfois effrayant. « J’enseigne depuis plus de trente ans en technique et en professionnel. Lorsque j’ai démarré ma carrière, la discipline et le respect envers le corps enseignant disparaissaient lentement. Les différentes mesures prises par les gouvernements successifs n’ont fait que détériorer l’éducation nationale. Comment peut-on tolérer que des élèves réussissent leur année avec des échecs importants en juin ou en septembre. Je me rappelle le cas d’une étudiante qui avait obtenu 0 sur 100 à son examen de mathématiques en seconde session et qui est pourtant passée en quatrième année professionnelle. Ce genre d’événements est courant et totalement inacceptable. Rendons-nous service aux jeunes en fonctionnant de cette manière ? Je n’en suis pas du tout convaincu car plus les années passent et plus le niveau scolaire des élèves s’effondre », raconte André, un professeur qui a voulu conserver l’anonymat. Même dans l’enseignement, les mouchards ne sont pas bien vus. « Il m’est déjà arrivé d’avoir à travailler avec des directions qui demandaient à leurs personnels de ne rien dévoiler de négatif sur leur école afin de ne pas nuire à leur réputation », ajoute ce vieux professeur qui confie ne plus prendre aucun plaisir à enseigner.
Nadine (nom d’emprunt) est une jeune enseignante de la région montoise. Depuis plus de huit ans, elle accumule les remplacements dans l’enseignement secondaire mais sa motivation et son énergie ne font que décliner au fil du temps : « Il m’est déjà arrivé de mettre fin à un remplacement tellement je me sentais mal à l’aise face à la violence et à l’agressivité des élèves », confie-t-elle à voix basse. « Ma voiture a déjà été griffée par un élève, j’ai été insultée et menacée. Maintenant, quand je vais travailler, j’ai peur. Il n’y a plus de respect pour les enseignants tant de la part des élèves que des parents. De plus en plus, tous les maux sont attribués aux professeurs. Mais est-ce compréhensible d’avoir des élèves entre 18 et 20 ans en troisième année ? J’en ai même eu qui avaient fait de la prison ou étaient surveillés constamment par la police. Actuellement, je ne me vois pas terminer ma carrière dans l’enseignement. Lorsque j’ai débuté, je voulais enseigner et non pas effectuer des séances de gardiennage. Maintenant j’ai peur de ce qui pourrait un jour m’arriver en classe. »

Des causes mutliples
Les situations de ces deux professeurs ne sont pas des cas isolés. Au contraire, ils témoignent d’un mal-être qui se répand de plus en plus dans le monde enseignant et gangrène l’éducation à tous les niveaux. Si des facteurs socio-économiques, culturels et linguistiques peuvent en partie expliquer l’effondrement du niveau scolaire, d’autres éléments d’une importance capitale sont à prendre en compte : la démobilisation des parents, le manque de motivation des élèves, la perte des valeurs primordiales (respect, tolérance, solidarité,…), les défaillances de la politique éducative belge contemporaine qui transforment nos écoles en usines à tri social,…
La situation est malheureusement loin de s’améliorer comme le montrent les nouveaux règlements relatifs à l’inscription d’un élève tant dans le primaire que dans le secondaire. Bientôt, on en viendra à choisir une école pour notre enfant comme dans un catalogue publicitaire… avec d’un côté des établissements d’excellente qualité pour la minorité riche de la société et puis, des institutions de moindre valeur pour les autres. L’inégalité scolaire n’est pas une utopie, c’est, malheureusement, la triste réalité.
J.D.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

En effet, la situation que tu décris fait froid dans le dos (je peux te tutoyer hein?). Ce que je trouve aussi, c'est que le profil de l'enseignant se dégrade doucement au fil du temps. Je m'explique. En tant que demandeur d'emploi tout frais, je constate que l'enseignement offre une sorte de démarrage assuré et immédiat dans la vie professionnelle, étant donné que l'on manque de profs. Alors que j'ai toujours entendu que ce métier était une vocation, que la pédagogie et le feeling avec les ados ne s'expliquait pas et avait quelque chose d'inné, j'ai l'impression qu'aujourd'hui, quand on ne trouve pas de boulot dans sa branche et qu'on sort de science po, journalisme, philo, histoire de l'art etc... (situation angoissante, j'en conviens), on se fait prof. En effet, vu de loin, ce job a quelque chose d'attirant en ce qu'il offre une certaine sécurité d'emploi, des horaires de type scolaire laissant du temps aux loisirs et à la vie de famille. On voit donc des hordes de diplômés du supérieur (avec ou sans agrégation) se tourner vers l'enseignement à défaut de trouver mieux. "Pourquoi pas prof tiens?". Mais certains tombent de haut: du petit cocon académique de la Nouvelle Bib et de l'avenue Héger à la bestialité et au langage trivial de certaines classes du cycle 4-5-6,il y a un monde. Alors, certains craquent évidemment et amorçent leur départ anticipé vers une place plus gratifiante. Résultat des courses: l'enseignement devient selon cette hypothèse une zone de transit professionnel où de moins en moins de gens s'investissent à long terme.Et ceux qui restent s'essoufflent, en ont marre à force de tirer seuls la véritable charge de la formation de nos jeunes. Le deal fonctionne ainsi dans tous les sens. Les écoles aux abois refusent de moins en moins de candidatures, et les jeunes diplômés peuvent désormais se targuer d'un an ou deux d'expérience sur le marché du travail (détail si important à en lire les propositions d'emploi). L'utopie vers laquelle mon commentaire mène serait d'un retour aux "vrais" profs de carrière, à ceux qui ont le background de l'expérience sociale et le bagoût qu'il faut pour contribuer au redressement de la barre, redonnant à l'école un des éléments essentiels de sa vitrine. Avec une direction qui appuye les décisions de ces "superprofs", sans les lâcher en pâture à certains parents capricieux... D'où on retombe évidemment dans le problème du pouvoir de l'école face aux parents mais c'est une autre arete de ce -très- grand débat dont les racines prennent pied au delà des grilles des athénées et des collèges.

Anonyme a dit…

L'excellente étude P.I.S.A (2003) démontre que l'organisation du système éducatif en communauté française, fait que les classes sociales que composent notre société, se maintiennent de génération en génération... (volontairement?) laissant peu de place aux ascensions sociales. La division des écoles en réseaux en est la preuve.D'où mon soutient au décret "Arena", qui au-delà de ses aspects critiquables, constitue un premier pas courageux vers l'égalité des chances de réussite...
Le SEGEC (secrétariat général de l'enseignement catholique) tente de minimiser l'application des mécanismes de "sélections sociales" dans les écoles, en affirmant que la pratique de ceux-ci se produit, uniquement dans les grandes écoles "élitistes". Le problème est beaucoup plus répandu qu'on ne le pense!